mai 11, 2020

mai 11, 2020 Posté par :Catégorie :Jurisprudence Aucun commentaire

Plusieurs décisions de justice ont été rendues sur le point de savoir si les mesures prises par les entreprises qui ont continué de fonctionner pendant le confinement sont suffisantes pour préserver la santé et la sécurité de leur personnel.

Ces décisions permettent de nous éclairer sur les obligations des employeurs à l’occasion du déconfinement, étant précisé que le Ministère du Travail a publié un Protocole National de Déconfinement. https://travail-emploi.gouv.fr/IMG/pdf/protocole-national-de-deconfinement.pdf

En premier lieu, les décisions rendues rappellent utilement les textes et principes généraux applicables en matière de santé et de sécurité au travail (article L4121-1, L4121-2, L4121-3, R4121-1s du code du travail) soit, en résumé :

1. Evaluer les risques ;
2. Retranscrire l’évaluation des risques dans le DUER ;
3. Mettre en place des mesures de prévention ;
4. Informer et former les salariés ;
5. Adapter ces mesures.

Surtout, les décisions rendues donnent de premiers enseignements sur la façon dont les juges interprètent ces règles dans le contexte si particulier de l’épidémie de Covid-19 en ce qui concerne :

– l’évaluation des risques et l’établissement du DUER (Document Unique d’Evaluation des Risques) (1) ;
– l’importance de la traçabilité des mesures prises (2) ;
– la nécessité de suivre les recommandations des pouvoirs publics (3) ;
– et le débat sur le champ d’application de la réglementation sur les risques biologiques (4).

1. L’évaluation des risques et l’établissement du DUER

> L’évaluation des risques liés au Covid-19 et la mise à jour du DUER
Les décisions rendues rappellent qu’il convient de mettre à jour l’évaluation des risques dans l’entreprise afin de tenir compte de l’épidémie de Covid-19, et de retranscrire cette évaluation dans le DUER (Document Unique d’Evaluation des Risques), conformément aux règles rappelées ci-dessus.

> L’employeur ne doit pas faire l’évaluation des risques seul
Ces décisions mettent en avant la pluridisciplinarité qui doit présider à l’évaluation des risques, en y associant le CSE (CA Versailles 24 avril 2020, RG n° 20/01993, Amazon, TJ Paris, 9 avril 2020, RG n° 20/52223, La Poste, TJ Lille, 24 avril 2020, RG n° 20/00395, Carrefour).
Dans la décision Amazon, le juge a considéré que le CSE devait aussi être consulté dans le cadre de l’évaluation des risques (CA Versailles 24 avril 2020, RG n° 20/01993, Amazon).
Dans l’affaire concernant La Poste, le juge a estimé qu’il fallait associer « autant que possible » la médecine du travail, les organisations syndicales et les personnels concernés (TJ Paris, 9 avril 2020, RG n° 20/52223, La Poste).

> La prise en compte des risques psychosociaux
Dans les décisions concernant Amazon et La Poste, les juges ont considéré que l’évaluation des risques devait inclure les risques psychosociaux, « particulièrement élevés en raison du risque épidémique et des réorganisations induites par les mesures mises en place pour prévenir ce risque ». (CA Versailles 24 avril 2020, RG n° 20/01993, Amazon).

2. Assurer la traçabilité des mesures prises

> L’évaluation des risques liés au Covid-19 et la mise à jour du DUER
Les décisions rendues rappellent qu’il convient de mettre à jour l’évaluation des risques dans l’entreprise afin de tenir compte de l’épidémie de Covid-19, et de retranscrire cette évaluation dans le DUER (Document Unique d’Evaluation des Risques), conformément aux règles rappelées ci-dessus.

> L’employeur ne doit pas faire l’évaluation des risques seul
Ces décisions mettent en avant la pluridisciplinarité qui doit présider à l’évaluation des risques, en y associant le CSE (CA Versailles 24 avril 2020, RG n° 20/01993, Amazon, TJ Paris, 9 avril 2020, RG n° 20/52223, La Poste, TJ Lille, 24 avril 2020, RG n° 20/00395, Carrefour).
Dans la décision Amazon, le juge a considéré que le CSE devait aussi être consulté dans le cadre de l’évaluation des risques (CA Versailles 24 avril 2020, RG n° 20/01993, Amazon).
Dans l’affaire concernant La Poste, le juge a estimé qu’il fallait associer « autant que possible » la médecine du travail, les organisations syndicales et les personnels concernés (TJ Paris, 9 avril 2020, RG n° 20/52223, La Poste).

> La prise en compte des risques psychosociaux
Dans les décisions concernant Amazon et La Poste, les juges ont considéré que l’évaluation des risques devait inclure les risques psychosociaux, « particulièrement élevés en raison du risque épidémique et des réorganisations induites par les mesures mises en place pour prévenir ce risque ». (CA Versailles 24 avril 2020, RG n° 20/01993, Amazon).

3. Les recommandations des pouvoirs publics

L’originalité de ces premières décisions tient au fait que les juges se sont fondés, pour interpréter le code du travail, sur des recommandations / préconisations / circulaires qui ne sont pas des normes juridiques, dont notamment :

– la circulaire n° 6 DRT du 18 avril 2002 selon laquelle l’évaluation des risques doit être menée en liaison avec les représentants du personnel (CA Versailles 24 avril 2020, RG n° 20/01993, Amazon, TJ Lille, 24 avril 2020, RG n° 20/00395, Carrefour) ;

– les préconisations de l’INRS selon lesquelles l’évaluation des risques s’opère en associant les salariés (CA Versailles 24 avril 2020, RG n° 20/01993, Amazon) ;

– les préconisations de l’ANACT (l’Agence nationale pour l’amélioration des conditions de travail) et notamment une note du 23 mars 2020 intitulée « Coronavirus : comment combiner continuité de l’activité et protection des travailleurs ? » (TJ Paris, 9 avril 2020, RG n° 20/52223, La Poste) ;

– la note du Directeur Général du Travail du 30 mars 2020 relative aux modalités d’intervention du système d’inspection du travail (SIT) dans les entreprises dans le cadre de l’état d’urgence sanitaire ;

– et, plus généralement, les « directives et recommandations des pouvoirs publics et des autorités sanitaires » (TJ Paris, 9 avril 2020, RG n° 20/52223, La Poste).

Il est donc indispensable de suivre les recommandations qui figurent sur le site du Ministère du Travail, dont notamment le Protocole National de Déconfinement.

A noter également que certaines branches professionnelles ont édicté des guides en vue de la reprise d’activité. (voir par exemple pour Syntec : https://www.syntec-ingenierie.fr/actualites/sante-et-securite-guides-de-bonnes-pratiques/ )

4. La question des risques biologiques

Enfin, le Tribunal Judiciaire de Lille a considéré que les entreprises devaient prendre en compte la réglementation (très complexe) spécifique à la prévention du risque biologique (articles R.4421-1s du code du travail).

Habituellement, ces dispositions sont appliquées à des entreprises dont la nature de l’activité les conduit à exposer leurs travailleurs à des agents biologiques, telles que des hôpitaux ou laboratoires.

Le Tribunal Judiciaire de Lille a considéré que ces règles étaient applicables à une association d’aide à domicile au motif que le DUER de cette association identifiait un risque biologique spécifique lié à l’intervention à domicile pendant une épidémie ou une pandémie « (ex Covid-19) » et le classifiait en risque mortel. (TJ Lille, 3 avril 2020, RG n° 20/00380, ADAR).

Est-ce à dire que toutes les entreprises qui auront pris en compte les risques liés au Covid-19 dans le DUER peuvent être considérées comme tombant sous le coup des articles R.4421-1s du code du travail ?

C’est ce que laisse entendre cette décision, d’autant que le Tribunal Judiciaire de Lille a considéré que la réglementation sur les risques biologiques était aussi applicable aux magasins Carrefour, dont le DUER mentionnait les risques liés au Covid-19. (TJ Lille, 24 avril 2020, RG n° 20/00395, Carrefour).

A noter qu’une application aussi étendue de cette réglementation n’avait pas été envisagée par le Ministère du Travail, qui a récemment précisé quels sont, selon lui, les travailleurs concernés par la réglementation sur les risques biologiques. Il s’agirait, selon le Ministère :

– des professionnels systématiquement exposés au risque de contamination du virus du fait de la nature de leur activité habituelle (ex : professionnels de santé et de secours).
– mais également les travailleurs dont les fonctions les exposent à un risque spécifique quand bien même l’activité de leur entreprise n’impliquerait pas normalement l’utilisation délibérée d’un agent biologique. Cette situation peut notamment concerner les travailleurs des secteurs des soins, de l’aide à domicile ou des services à la personne, dès lors que leurs tâches impliquent des contacts de moins d’un mètre avec des personnes potentiellement contaminées (ex : toilette, habillage, nourriture).

Nous sommes donc en attente de nouvelles décisions pour préciser le champ d’application de la réglementation sur les risques biologiques.

Dans l’attente de cette clarification, il est fortement recommandé aux entreprises, a minima, d’appliquer les recommandations du Ministère du Travail, dont notamment celles figurant dans le Protocole National de Déconfinement.

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